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ANICET, avec constance et sans partage, en appelle à une tradition plus enfouie, moins discernable, tradition victime d’une mise en-noir et qu’il a du traquer dans sa nuit bleue, et extraire, comme cette argile céramique, du fond de la terre, qui tout à l’heure viendra frémir entre les doigts du potier…Cette chose là, à ses yeux, est évidence sans nuance, comme bloc de glaise, qu’il convient, avant tout, de restituer.

On sait que, dans la plupart des récits mythiques ( y compris donc dans la tradition chrétienne ), l’homme est créé à partir de la terre. Les amérindiens eux, en cela plus malicieux envers les dieux, voient la création, tout ce bric-à-brac, tenir enfin debout au quatrième essai seulement, l’homme étant alors créé à partir du maïs, » la graine d’Amérique ».

Miguel-Angel ASTURIAS, le grand poète guatémaltèque, en a fait un fabuleux et fantastique récit qu’il a intitulé « Trois des Quatre Mondes ». Mais le récit même de la création, tel qu’il nous a été transmis, se trouve dans le Pop Vuh, épopée des « dieux, des héros et des hommes mayas », qui conte que la terre fut utilisée lors de la seconde tentative de création. Et voici ce qui en résulta : « De terre, ils firent la chair. Ils virent que cela n’était pas bon mais s’abattait, s’amoncelait, s’amollissait, se mouillait, se changeait en terre, se fondait ; la tête ne remuait pas ; la face se tenait d’un seul côté ; la vue était voilée ; ils ne pouvaient regarder derrière eux ; d’abord ils parlaient mais sans sagesse. Aussitôt cela se liquéfia, ne se tint pas debout ».

En réalité, même contre l’avis de certains mayas, ANICET a raison de croire que « cela tient debout » puisque alors même que les hommes formés de la chair du maïs, graine d’Amérique, ont été décimés, leur céramique nous est transmise comme la part sans doute la plus palpable de leur héritage.

Accepter donc, d’abord, d’être un témoin. Derrière la posture de l’humilité, il y a l’intense mobilisation de l’aguet. Il y a promesse et gageur, (un fin lettré créole parlerait en pareil cas de « natter baramine » !). Car témoigner c’est tester et attester certes, quelquefois contester ( on retrouvera sans mal ici ni malice, ANICET dans son vécu quotidien), mais témoigner, c’est surtout faire alliance, passer pacte, et dans cela qu’on marque, faire co-naître.

La marque d’ANICET c’est précisément qu’il a choisi de nous faire naître (à, dans) la connaissance de l’origine de notre monde caribéen. Il montre les commencements, il montre l’ancrage, il ressuscite ou restitue les images immémoriales, il veut ce retour au fondement, l’ancrage de son œuvre, il la veut dans la chair de notre monde caribéen. On se souviendra ici de tous ses travaux obscurs, de tous ses brouillons magnifiques, de toutes ses esquisses sur l’objet-carcan : Ah ! Une esthétique du carcan ! Et une esthétique comparée, oui, comparée à la geste du petit peuple du carrefour de la Croix-Mission ! Le relais ne se fait que dans le retour au fondement, que dans l’incessant retour qui redit inlassablement la figure du même, toute grande œuvre le montre ou le dit et quand, après bien des études de formes, après tant de boue gâchée, ANICET y parvient, ce qu’il provoque en nous c’est tout simplement une « stupeur ».

André PIERRE-LOUIS

Directeur de l’OMC du Marin