La calebasse

Victor Anicet est un accoucheur de mythes. Sa parole conte que la calebasse est le ventre de la femme, la moitié du soleil qui porte l’eau de la rivière en équilibre sur la tête, une torche de tissu madras enroulée comme le serpent Damballa entre tête et calebasse, entre corps et ciel, et la femme se balance, le cou droit et les pieds ancrés au sol, le bras qui la protège des vagues qui se déchaînent là-haut dans la calebasse.

Kora, balafon, sitar, musiques d’Afrique ou d’Inde se mêlent aux épices qui labourent la viande ou le poisson à macérer dans le kwi.*Car Le kwi n’est jamais rassasié du sel de l’oubli dans le Passage de la Déveine, du sel de la
reconnaissance dans le féwos (farine de manioc, avocat, morue salée).

La calebasse est un réservoir de secrets, un métier à tisser. L’émail soyeux de la calebasse d’Anicet a cannibalisé le noir, le rouge et le blanc.

Quand Victor Anicet coud sa calebasse, il rapièce les fragments de sueur, de sang, et de sons, d’épices et de corail ; il tresse les signes oubliés et l’éclair primordial de la ficelle que les Amérindiens lançaient dans les pattes des chevaux naufragés du Vieux Monde. Pierre dérisoire dans les pattes des chevaux contre le tonnerre assourdissant qui fracassait leur si vieux monde.

Anicet ravaude le dérisoire et les lambeaux, lie les fils ballotant au vent, accorde la calebasse pleine de chants d’eau et de matière.

Le dérisoire vous dis-je… Anicet maîtrise le vent et la tempête , ensorcelle l’objet le plus ordinaire, comme avant lui, ses pères amérindiens, africains et indiens.

Dominique Aurélia
*Kwi en langue créole, couaicou en langue caraïbe