Nos barques sont ouvertes, pour tous nous les naviguons (E. Glissant)

Hier, veille du 22 mai, date de la commémoration de l’abolition de l’esclavage à la Martinique était inaugurée à l’Habitation Saint – Etienne une œuvre monumentale de Victor Anicet. Cette caravelle, La vision des vaincus, en tôle noire de trois millimètres d’épaisseur, d’imposante envergure,  six mètres de long sur trois mètres quatre – vingt de haut, est une commande privée de Florette et José Hayot.

A l’origine de ce projet,  les trois céramiques de Victor Anicet présentées  à l’orée de l’exposition, Les grands projetés de l’histoire , en octobre 2012 aux Foudres HSE du Gros – Morne ( Martinique) .

Une phrase d’Edouard Glissant escortait alors l’incarnation contemporaine des trois vaisseaux de Christophe Colomb,  La Nina, la Pinta et la Santa Maria :

Navires vous errez dans l’immobilité

Seules vous retenez l’eau fruste sur vos reins

Lieu sur le rivage où le regard se fortifie (2)

De la terre au métal, de l’objet au monument, multiples étapes se sont succédé  dans un hangar du François. Modifier l’échelle. Définir le module adéquat de trois cents centimètres sur trente.  Surmonter les écueils  techniques,  assisté de Michel Pétris, designer, sculpteur en métal, maitrisant les différentes techniques de soudure. La sculpture sera agrémentée de rivets type Tour Effel.

«  C’est à l’artiste  contemporain de pratiquer les rites de passage, dit Victor Anicet. La chaîne tragique a été rompue. La fonction de l’artiste est le dévoilement de l’inaperçu car l’île est un réservoir de secrets.

Moi, l’artiste, le producteur d’images, je suis au seuil des mondes et je voudrais être le témoin du passage : un passeur. Restituer, non pas reconstituer. Restituer au plus grand nombre de Martiniquais les traces que j’ai cru avoir décelées. »

La Restitution est au cœur de la démarche plastique de Victor Anicet :

http://aica-sc.net/2013/09/27/victor-anicet-restitution/

Né au Marigot, commune du Nord Atlantique de la Martinique, Victor Anicet retrouve sa terre natale en 1967 après des études à l’Ecole des Métiers d’art de Paris, aux Arts et Métiers et plusieurs années d’expériences auprès de potiers en France, en Allemagne, en Angleterre. Membre fondateur du groupe Fwomajé dédié à la recherche d’une esthétique caribéenne, il approfondit la veine amérindienne : « Nous sommes tous des Amérindiens. La nasse que tu jettes est amérindienne, le lisser des tiges d’amarante pour ton panier est amérindien. Le balata que tu nommes est amérindien. Nous sommes tous des Amérindiens » (3)

L’espace public de Martinique accueille plusieurs œuvres de Victor Anicet : commandes publiques,  commandes privées, 1 % artistiques.

Deux  œuvres ont été réalisées dans le cadre du 1 % artistique, à la Trésorerie générale de la Martinique et au Collège de la Meynard. Le  1% artistique,   procédure spécifique de commande publique d’œuvre d’art offre un cadre original de rencontre entre un commanditaire public, un artiste, un architecte et le public, en dehors des seules  institutions dédiées à l’art contemporain.
La loi oblige les maîtres d’ouvrages publics à réserver un pour cent du coût de leurs constructions pour la commande ou l’acquisition d’une ou plusieurs œuvres d’art spécialement conçues pour le bâtiment. D’abord limité aux bâtiments du ministère de l’Education nationale lors de sa création en 1951, le dispositif a été élargi et s’impose aujourd’hui à la plupart des constructions publiques de l’Etat et à celles des collectivités territoriales, dans la limite des compétences qui leur ont été transférées par les lois de décentralisation.

L’une d’entre elles, Restitution, a été sélectionnée pour figurer dans l’ouvrage du Ministère de la Culture, Editions du Patrimoine –  Centre des monuments nationaux, Cent 1 %, édité à l’occasion des soixante ans du dispositif.

Victor Anicet a également conçu des vitraux contemporains pour la Cathédrale de la Ville de Saint Pierre dans le cadre d’une Commande publique décentralisée du Ministère de la Culture. La commande publique est la manifestation d’une volonté associant l’Etat (ministère de la Culture et de la Communication et des partenaires multiples (collectivités territoriales, établissements publics ou partenaires privés), de contribuer à l’enrichissement du cadre de vie et au développement du patrimoine national, par la présence d’œuvres d’art en dehors des institutions spécialisées dans le domaine de l’art contemporain. Elle vise également à mettre à la disposition des artistes un outil leur permettant de réaliser des projets dont l’ampleur, les enjeux ou la dimension nécessitent des moyens inhabituels.

La commande publique désigne donc à la fois un objet (l’art qui, en sortant de ses espaces réservés, cherche à rencontrer la population dans ses lieux de vie et dans l’espace public) et une procédure, marquée par différentes étapes, de l’initiative du commanditaire jusqu’à la réalisation de l’œuvre par l’artiste et sa réception par le public.

Par ailleurs, Victor Anicet  a répondu à de nombreuses commandes municipales, à Schoelcher, au Marin, à Sainte – Luce, à Basse- Pointe comme à des commandes privées, pour l’auberge de la Montagne Pelée, pour l’église du bourg de la ville de Schoelcher, pour la SATEC, pour l’école municipale de Fond Lahaye.

C’est une seizième création pour l’espace public de Martinique qui s’ajoute aujourd’hui aux précédentes.

« Chacun de nous a besoin de la mémoire de l’autre, parce qu’il n’y va pas d’une vertu de compassion ou de charité, mais d’une lucidité nouvelle dans un processus de la Relation. Et si nous voulons partager la beauté du monde, si nous voulons être solidaires de ses souffrances, nous devons apprendre à nous souvenir ensemble. » (4)

 

(1) Edouard Glissant, Poétique de la relation

(2) Edouard Glissant, La Maison des sables

(3) Victor Anicet

(4) Edouard Glissant